Syndrome Solution

En informatique désormais, on ne fabrique plus ni des applications ni des logiciels, on fabrique des solutions. Et on les vend. Il ne s’agit pas de nouveaux systèmes, non, ce sont les mêmes qu’avant, c’est habile.

Cela dit, un logiciel sert à résoudre des problèmes i.e. des questions soulevées ; il faut donc bien s’y intéresser, à ces questions : c’est la partie difficile. De deux choses l’une. Soit on s’attelle au problème et on y réfléchit. Mais c’est long, coûteux et sans garanties (parfois on n’y arrive même pas, c’est embêtant). Soit on le nomme ; c’est épatant comme le simple fait de nommer un problème donne l’impression de l’avoir résolu. Grisé par cette illusion qui emporte sur des nuages de rhétorique surplombant des abîmes d’incompréhension, il semble alors facile de passer à la solution. D’autant que la solution, d’autres la possèdent, précisément.

– La solution à quel problème, au fait ?

– Mais voyons, peu importe puisqu’on a la solution, vous dis-je. Vous voulez du Céhereme? Tiens, j’en ai une boite juste derrière moi sur l’étagère, là, vous voyez bien. Un Ehesbé ? Le gros carton devant vous. Un Bépéhem ? Vous le voulez quand ? Il faut que je réserve un container, mais pas de soucis, on s’occupe de toute la livraison.

– Votre Ehesbé, il est facile à prendre en main ?

– Un jeu d’enfants, mon bon monsieur, un jeu d’enfants. De plusieurs enfants, certes, mais enfin, c’est un gros carton. Trois semaines pour l’installer en trois clics, à peine six mois pour vous faire la main, tellement tout est intuitif et ordonné, adapté et adaptable, standard et générique, pointu et facile à comprendre. Comptez éventuellement quelques semaines obligatoires de formations par nos soins (forfaits individuels), et hop, vous voilà fins prêts pour passer en production.

–  Et ce sera adapté à mon prob… Pardon, à mon contexte ?

– Oui, moyennant quelques mois supplémentaires et sous réserve que vous sachiez très exactement ce que vous voulez faire, que ça corresponde exactement au contenu théorique du gros carton, et que le packaging ait été bien fait. On a parfois de ces surprises !

– Et si ça ne correspond pas ou si le carton n’est pas complet ?

– Si le cas se présente, c’est assez fréquent alors on connaît bien, ne vous inquiétez pas, vous nous appelez. On dépêche illico quelqu’un directement chez vous et à vos frais, et pour une facturation modique on vous aide à diagnostiquer les lacunes et à tout mettre en place dans le carton.

– Et vous adaptez le contenu du carton ?

– Oui, bien sûr, c’est un peu plus cher et ça prend un peu de temps, mais rien de déraisonnable.

– Le gros carton, je peux y jeter un œil ?

– Mais très certainement, voyez comme tout est bien écrit dessus, lisiblement, et comme la fermeture est proprement apposée. C’est de la bel ouvrage, professionnel à souhaits. Notez que ce que vous voyez est un exemple pas forcément représentatif, le votre pourra varier, d’ici à la livraison.

– Et à l’intérieur ?

– Dedans, c’est pareil, tout est judicieusement rangé pour un montage très précis et sans risques. D’ailleurs, je vous montre la notice, je ne peux pas ouvrir le carton, c’est assez secret et sensible, comme technologie, vous comprenez bien.

– Il n’y a aucun texte, tout est en images !

– Évidemment, de nos jours on n’écrit plus, ça limite drastiquement les défauts de traductions qui étaient si pénibles pour nos clients.

– Et vous m’affirmez qu’avec ça je traite tous mes cas ?

– Tous peut-être pas, par exemple, vous avez une machine à café ? J’ai là un assortiment de dosettes : en un seul carton vous avez des dosettes pour toutes les marques. C’est pratique, même plus besoin de se préoccuper de la marque de la votre au moment de la commande, vous voyez d’ici le progrès !

Diagnostique : un logiciel n’est pas plus une solution en entreprise qu’une clef de 17 en mécanique. L’utilisation d’un logiciel peut être une solution à un problème clairement posé pour peu qu’elle soit en adéquation avec le problème. Poser clairement le problème et définir l’utilisation adéquate sont les points importants à traiter. Les évacuer par un tour de passe-passe rhétorique a comme unique conséquence d’augmenter les difficultés et de générer de la dette.

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